PATOLOGIE
REGIONALE DU PIED ET DE LA CHEVILLE
A. CHEVROT, N. CHEMLA, D. GODEFROY, AM DUPONT, B. VACHEROT, A.
LANGER-CHERBIT
Hôpital Cochin - Paris
1.
INTRODUCTION
Le bilan radiologique standard du pied et de la cheville comporte de nombreuses
incidences permettant d'une part une étude statique, d'autre part une
étude morphologique des différentes structures anatomiques.
Qu'il s'agisse de la cheville ou du pied, les radiographies debout de face et
de profil permettent de vérifier les éléments
architecturaux en position de fonction.
Les incidences standards classiques face, profil, trois-quarts permettent une
analyse morphologique du pied et de la cheville et sont
complétées au besoin par des incidences particulières
destinées à une analyse plus précise de certaines
régions anatomiques comme le calcanéum ou le sinus du tarse, par
exemple.
2.
RADIOGRAPHIES STANDARDS
2.1.Etude statique du pied et de la chevilleLa radiographie du pied de face en charge permet d'analyser:
* L'angle d'ouverture du pied entre le 1er et le 5deg. métatarsien
normalement compris entre 25 et 30deg..
* L'angle compris entre le ler et le 2deg. métatarsien, le
métatarsus varus physiologique étant normalement compris entre 5
et 10deg..
* Le valgus physiologique du gros orteil se mesure par l'angle formé par
le ler métatarsien et la 1ère phalange du gros orteil normalement
compris entre 8 et 12deg..
* Les alignements des têtes des métatarsiens permettent de classer
les pieds selon 3 canons (fig. 1):
- pied égyptien, le plus fréquent,
- pied grec,
- pied carré.
Figure 1 : Différents types de pieds.La radiographie du pied et de la cheville de profil en charge permet de
mesurer :
* L'angle de Fick correspondant à l'angle d'attaque au sol des
métatarsiens. Sa valeur normale est de 18 à 25deg. pour le ler
métatarsien et va en décroissant jusqu'à 5deg. pour le
5deg. métatarsien.
* L'angle compris entre la tangente au bord inférieur du
calcanéum et la tangente au bord inférieur de l'astragale ou
angle de convergence astragalocalcanéenne normalement compris entre
25deg. et 35deg.. Cet angle augmente dans le pied plat.
* L'angle de DJIAN ANNONIER formé entre une droite joignant le
pôle inférieur du sésamoïde interne du gros orteil au
point le plus bas de l'articulation astragaloscaphoïdienne et une droite
joignant ce dernier point au plus bas de la face inférieure du
calcanéum.
Cet angle est normalement compris entre 120 et 125deg.. Il augmente en cas de
pied plat et diminue en cas de pied creux.
* L'axe de MEARY : normalement l'axe diaphysaire du ler métatarsien et
l'axe de l'astragale sont confondus. En cas de pied plat il existe une
verticalisation de l'astragale, en cas de pied creux il existe une
horizontalisation de l'astragale.
Les clichés de la cheville de face en charge avec repère de
l'appui plantaire (technique de Meary ou technique de Djian) permettent de
mesurer la désaxation du talon par rapport à l'axe du tibia.
Il existe normalement un valgus physiologique de l'arrière-pied, l'axe
du tibia coupant le plan d'appui en un point situé à la jonction
du tiers interne et des deux tiers externes de l'appui rectiligne
sous-talonnier.
Enfin l'étude de l'appui antérieur des têtes des
métatarsiens (
incidence de GUNTZ ou trois-quart total du pied en
charge) apprécie l'équidistance tête-sol des
différents métatarsiens en charge.
2.2.Etude morphologique du pied et de la chevilleL'incidence de face du pied permet de visualiser l'avant-pied avec la
partie antérieure du tarse, le scaphoïde, le cuboïde, les
cunéiformes et les métatarsiens dont les bases sont
superposées (fig. 2, 3 4).
Pied de profil : visibilité de la partie postérieure du
pied, astragale et calcanéum, scaphoïde et cuboïde mais les
cunéiformes et les métatarsiens sont superposés.
Pied déroulé permettant une vue du pied en rotation
externe et une bonne étude de l'arrière pied avec projection un
peu superposée des différents os du tarse et non superposition
des métatarsiens.
D'autres incidences plus spéciales sont destinées à
des études particulières :
- incidence rétrotibiale pour l'étude du calcanéum.
- incidences de HIRTZ et CHAUMET pour l'étude des cunéiformes.
La cheville de face :
- permet l'étude de l'interligne tibio-astragalien de face.
- le tubercule antérieur du tibia plus externe que le postérieur,
empiète d'environ 8 mm sur le contour interne du
péroné permettant d'apprécier l'existence d'un diastasis
tibio-péronier.
Figure 2 : Pied. 1. tibia ; 2. péroné ; 3. astragale ; 4.
calcanéum ; 5. scaphoïde ; 6. cuboïde ; 7.
cunéiforme ; 8. métatarsien ; 9. 1er métatarsien ; 10.
sésamoïde du gros orteil. Notez l'absence de superposition des os
de l'arrière-pied.Figure 3 : Cheville de face. Les empiètements
péronéro-tibiaux inférieurs.Figure 4 : Articulation tibio-tarsienne de profil.
La cheville de profil :
- analyse de l'interligne tibio-astragalien.
- bonne analyse de l'astragale et du calcanéum.
- superposition des malléoles.
- appréciation d'un éventuel épanchement
intra-articulaire.
- étude de l'opacité du tendon d'Achille et du triangle graisseux
de KAGER (espace clair rétro-tibial) qui peut être comblé
en cas de rupture du tendon d'Achille.
3.PATHOLOGIE STATIQUE DU PIED3.1.Les déformations du pied chez le nourrissonSoit graves, visibles d'emblée du domaine du spécialiste,
soitminimes (fig. 5), elles peuvent traduire une malposition utérine et
s'accompagner d'autres déformations notamment d'une dysplasie
congénitale des hanches qu'il faut rechercher impérativement
(antécédents, ressaut, radiographies du bassin).
Figure 5 : Pied du nouveau-né.L'étude radiographique du pied du nourrisson comporte des clichés
de face et de profil et la mesure des angles astragalocalcanéens. Les
valeurs normales sont :
- de profil, 25 à 30deg.
- de face, 15 à 30deg. (l'axe de l'astragale se poursuit par l'axe du
l
er métatarsien ; l'axe du calcanéum par l'axe du
4
ème)
Sur les clichés de profil, la diminution de l'angle définit un
pied équin, une augmentation en pied talus.
Sur les clichés de face une diminution de l'angle définit un pied
varus, une augmentation un pied valgus.
La déformation la plus fréquente (85% des cas) est le pied bot
varus équin.
Les clichés de face et de profil en flexion et extension maximum
apprécient les caractères de fixité de la
déformation.
3.2.Les déformations des pieds de l'enfant et de l'adolescentElles sont dominées par le pied plat valgus. Rarement
chirurgical, il se corrige le plus souvent spontanément avec la
croissance (fig. 6).
D'autres malformations peuvent être rencontrées : le pied creux
essentiel, plus rare et souvent de cause neurologique, le pied valgus simple
ou le pied creux valgus.
3.3.Les déformations de l'adulteLa principale déformation observée à l'âge adulte
est l'hallux valgus qui associe (fig 7) :
- une augmentation du valgus de la 1ère phalange sur le ler
métatarsien et un métatarsus varus
- une rotation du gros orteil avec projection des sésamoïdes dans
l'espace intermétatarsien.
Les
osselets surnuméraires peuvent être source de conflit
avec les chaussures (fig.
.
Les
synostoses sont dominées principalement par:
- la synostose calcanéo -scaphoïdienne qui réalise un pont
osseux de largeur variable reliant l'angle supéro-interne de la grande
apophyse du calcanéum au bord inféro-externe et
postérieure du scaphoïde. La fusion souvent incomplète
entraîne un pied plat.
- la synostose astragalo-calcanéenne réalise un bloc osseux
complet ou incomplet entre l'astragale et le calcanéum.
Elle est bien vue sur la radiographie de profil où l'on note l'absence
de solution de continuité entre le relief supérieur du
calcanéum et le relief inférieur du sustentaculum tali
normalement séparés.
Figure 6 : Pied en charge chez l'adulte.Figure 7 : Hallux-valgus.Figure 8 : Les principaux os surnuméraires du pied.
4.PATHOLOGIE DU PIED EN DEHORS DES DESORDRES ARCHITECTURAUXLes traumatismes peuvent entraîner des fractures et des dislocations des
articulations du pied. Nous ne pouvons toutes les passer en revue.
Il est cependant important de savoir rechercher certaines fractures qui peuvent
passer inaperçues et notamment
la fracture du calcanéum.Normalement les deux droites passant par le sommet de l'articulation
astragalo-calcanéenne postérieure, une par le bec de la grande
apophyse, l'autre par le sommet de la tubérosité
postérieure font un angle de 140 à 160deg. (angle de BOELHER). Il
existe une ouverture de l'angle en cas de fracture-tassement du
calcanéum (fig. 9).
Figure 9 : Angle de Bohler.a) Normalement, les 2 droites passant par le
sommet de l'articulation astragalo-calcanéenne postérieure, l'une
par le bec de la grande apophyse, l'autre par le sommet de la
tubérosité postérieure, font un angle de 140 à
160deg..b) Fracture-tassement du calcanéum : ouverture de l'angle.L'examen tomodensitométrique permet de faire un bilan précis des
lésions avant d'envisager un traitement orthopédique ou
chirurgical.
Les fractures de fatigue doivent être aussi bien connues. On en
distingue deux types :
- les fractures diaphysaires touchant essentiellement la diaphyse du
2ème métatarsien (fig. 10). Elles se manifestent par une boiterie
douloureuse, une impotence fonctionnelle relative, une tuméfaction
d'allure inflammatoire du dos du pied consécutive à une longue
marche, souvent chez un sujet jeune.
- la radio est normale à la phase de début.
- apparition secondaire d'une apposition périostée
retardée (8 à 10 jours), puis en 3 semaines à 1 mois,
d'un cal osseux permettant un diagnostic rétrospectif
définitif.
- les fractures de fatigue de l'os spongieux sont plus fréquentes :
elles se traduisent radiologiquement par une condensation linéaire
perpendiculaire à l'axe des travées osseuses traduisant le
tassement d'un certain nombre de colonnes d'os spongieux.
Figure 10 : Fracture de fatigue du 2deg. métatarsien. a) Au
début, pas d'anomalie en dépit de la douleur. b) Après 8
ou 10 jours, petite apposition périostée. c) Cal de
fracture.Les entorses de la cheville résultent le plus souvent d'un
traumatisme en varus équin et entraînent des lésions au
niveau du ligament latéral externe.
Les clichés dynamiques de la cheville de face en varus forcé
à la recherche d'un bâillement tibio-astragalien et de profil
à la recherche d'un tiroir, permettent d'apprécier l'importance
des dégâts ligamentaires. Ils doivent être
réalisés de façon bilatérale et comparative afin de
ne pas méconnaître une laxité physiologique.
L'arthrographie plus ou moins couplée au scanner permet de faire un
bilan des lésions ligamentaires et cartilagineuses
5.PATHOLOGIE MEDICALE PROPRE AU PIED5.1.Les ostéochondroses disséquantesL'ostéonécrose aseptique du scaphoïde tarsienprésente deux aspects :
- la maladie de KOHLER survient sur un noyau d'ossification chez un
sujet jeune et entraîne à la radio une ostéocondensation
hétérogène.
La surveillance évolutive permet de voir la réossification du
secteur ostéocartilagineux nécrosé.
- l'ostéonécrose aseptique du scaphoïde de l'adulte ou
maladie de MULLER-WEISS se traduit par un aplatissement et une
condensation de la partie externe du scaphoïde qui se subluxe
progressivement en dedans.
L'évolution à terme est une arthrose scapho-astragalienne.
- l'ostéonécrose aseptique des 2
ème et
3
ème métatarsiens (FRIEBERG-KOHLER) touche
essentiellement l'adolescent qui se plaint de douleurs mécaniques de
l'avant-pied :
* déformation de la tête du métatarsien qui devient
condensé,
* élargissement de l'interligne articulaire très
caractéristique.
Cette affection évolue vers l'arthrose.
5.2.
L'algodystrophie
Elle peut être primitive, mais elle est le plus souvent
post-traumatique.
Elle entraîne une impotence fonctionnelle plus ou moins associée
à des troubles trophiques :
Les signes radiographiques sont retardés par rapport au début des
signes cliniques ; il s'agit essentiellement d'une
déminéralisation hétérogène de type
mouchetée avec respect des interlignes articulaires.
L'aspect radiographique persiste deux à trois mois après la
guérison clinique qui survient en 4 à 6 mois.
5.3.
Les tumeurs
Les tumeurs primitives ou secondaires sont rares.
Le faux kyste du calcanéum, asymptomatique correspond en fait
à une image claire construite par les travées osseuses du
calcanéum visibles sur le cliché de profil. Il peut parfois
présenter une calcification centrale.
6.
PIED ET PATHOLOGIE GENERALE
Des pathologies très diverses, infectieuses, inflammatoires,
métaboliques et autres peuvent se manifester au pied.
6.1.
Maladies métaboliques6.1.1.
Acromégalie Les signes radiologiques sont les suivants :
- épaississement du coussinet plantaire (normalement inférieur
à 21mm)
- élargissement des interlignes articulaires, notamment
métatarso-phalangiens,
- aspect en ancre de marine des houppes phalangiennes.
6.1.2.GoutteLes crises de goutte aigües touchent classiquement l'articulation
métatarso-phalangienne du gros orteil (fig. 11).
Il n'y a pas d'anomalie radiologique.
La goutte chronique se caractérise essentiellement par des tophi qu'ils
soient intra-osseux ou péri-articulaires, et des réactions
ostéophytiques acérées souvent bien visibles sur le
cliché de profil prédominant au niveau du tarse
antérieur.
Ostéophytes et tophi goutteux aboutissent au classique pied
hérissé de la goutte.
Figure 11 : Pied goutteux. a) Arthropathie du gros orteil. Géodes au
voisinage de la métatarso-phalangienne et de l'interphalangienne du gros
orteil. Pincement articulaire de la métatarso-phalangienne,
ostéophytose, irrégularité des sésamoïdes. b)
Pied de face : 1. Tophus intra-osseux ; 2. Arthropathie usante. c)
Arthropathie goutteuse inter-tarsienne (pied hérissé) 1. Tophus
acérés.6.1.3.Ostéopathie thyroïdienneL'acropathie thyroïdienne rare associe une hypertrophie des parties molles
des extrémités parfois pseudopachydermique, associée
à des appositions irrégulières au niveau des phalanges et
des métatarsiens.
6.2.Rhumatismes dégénératifsL'arthrose métatarso-phalangienne du gros orteil se rencontre dans deux
circonstances :
- sur hallux valgus, tardive résulte, de la désaxation.
- hallux rigidus survient souvent sur un gros orteil trop long ; on
retrouvé des signes d'arthrose de la 1ère articulation
métatarso-phalangienne (pincement, géodes et
ostéocondensation sous-chondrale associés à des
ostéophytes).
Les talalgies plantaires communes; La radio est souvent négative mais
montre parfois une exostose sous-calcanéenne (épine
calcanéenne), conséquence de l'irritation aponévrotique
(fig. 12).
Figure 12 : Epines calcanéennes. 1. épine
sous-calcanéenne ; 2. épine achilléenne.
6.3.Rhumatismes inflammatoiresLes rhumatismes inflammatoires chroniques peuvent atteindre le pied. Les
principales pathologies sont la polyarthrite rhumatoïde, la
spondylarthrite ankylosante et le rhumatisme psoriasique.
6.3.1.La polyarthrite rhumatoïdeAu début les lésions touchent le plus souvent les articulations
métatarso-phalangiennes. L'atteinte de la 5ème
métatarso-phalangienne est fréquente et souvent muette
cliniquement. C'est un bon argument en faveur de la polyarthrite
rhumatoïde à rechercher systématiquement (fig 13).
Figure 13 : Polyarthrite rhumatoïdeL'atteinte du tarse fréquente au début, aboutit à terme
à une tarsite fusionnante.
A un stade plus évolué, les atteintes sont plus destructrices
avec de multiples déformations.
La calcanéite est plus rare que dans la spondylarthrite ankylosante.
6.3.2.Spondylarthrite ankylosanteElle entraîne surtout des lésions de l'arrière-pied sous
forme d'érosion et d'hyperostose au niveau du calcanéum dans la
zone d'insertion du tendon d'Achille (fig. 14).
C'est la calcanéïte de la spondylarthrite ankylosante très
évocatrice.
Elle atteint également l'avant-pied mais plus tardivement que la
polyarthrite rhumatoïde et sans spécificité.
Des anomalies de même type se rencontrent dans le syndrome de
FIESSINGER-LEROY-REITER.
Figure 14 : Spondylarthrite ankylosante : calcanéite
éburnante.6.3.3.Le rhumatisme psoriasiqueLe rhumatisme psoriasique se caractérise par des lésions
bilatérales mais asymétriques intéressant
préférentiellement les interphalangiennes distales qui sont
grignotées à leur périphérie avec réaction
périostée dans les zones d'insertions ligamentaires.
Une calcanéïte identique à celle de la spondylarthrite
ankylosante est parfois réalisée, se caractérisant par une
prolifération osseuse très importante.
Les lésions du tarse antérieur peuvent se voir comme dans la
polyarthrite rhumatoïde.
6.4.
Les lésions des parties molles
Bursites, aponévrosites et tendinites sont mieux analysées par
d'autres techniques d'imagerie plus adaptées à l'étude des
parties molles.
Les radiographies standards montrent essentiellement un épaississement
des parties molles et des calcifications.
L'IRM est l'examen de choix dans ces indications.
Les tendons, ligaments et aponévroses apparaissent comme des structures
en hyposignal sur toutes les séquences (T1 et T2).
En cas de tendinite, le tendon est épaissi et peut présenter des
modifications de signal (hypersignal intratendineux).
En cas de rupture, il existe une solution de continuité remplacée
par une zone de signal intermédiaire en T1 et d'hypersignal en T2.
En cas de bursite, il existe une augmentation du volume de la bourse qui est le
siège d'un épanchement liquidien en hyposignal en T1 et en
hypersignal en T2.
7.
EN CONCLUSION
Diverses affections peuvent toucher le pied et la cheville ; les incidences
seront choisies en fonction de la pathologie recherchée. La recherche
des désordres architecturaux se fait grâce à des radios
réalisées en charge.
Les radiographies standards du pied et de la cheville sont une étape
essentielle devant toute pathologie avant de se lancer dans des examens
complémentaires plus invasifs.